La scène se passe sous les ombres d’une vieille forêt. La tribu Gorlak est réunie, et l’on sent qu’il se prépare on ne sait quoi de solennel. Au milieu de l’assemblée se tient un chaman, l’air grave, tenant dans la main son grand bâton torsadé, semblable à la défense d’unicorne. Vous pouvez vous le figurer les yeux glauques, la barbe épaisse, avec de longs cheveux grisonnants, et le visage labouré par de profondes rides. Ce vieux Gorlak était à l’automne de sa vie, non loin de l’hiver… Il incarnait, par sa manière de se tenir, courbé sur sa canne, la décrépitude, la ruine et toutes les douleurs de la vie.
Il était donc devant un feu qui donnait a tout les visages circonstant, aidé par la nuit, une teinte sanglante ; puis dans un geste qu’il voulu théâtral, il leva ses bras en l’air, lâchant larcinieusement une poudre noir dans le feu encore fragile, afin que jaillissent de puissantes flammes qui semblaient vouloir lécher le ciel. La démonstration de cette puissante magie divine ébahie les guerriers présents et apporta enfin le silence, un silence qui n’était brisé que par les crépitements du bois qui se consumait. L’ancien en profita pour considérer longuement cette petite horde qui ne devait contenir guère plus de dix gorlaks, puis il ouvrit enfin la bouche :
- Mes unfants… Dit-il d’une fois chevrotante, je vais ce suar, sous vos yeux, faire un ancien rituel chumanique très cumpliqué, et voir ainsi dans l’uvenir… !
Le vieillard s’installa péniblement au sol en grimaçant, puis se saisit d’une écuelle en bois. Il prit ensuite dans une petite cage faite de bambous, un rat qu’il égorgea et pressa comme un citron jusqu'à ce que la tripaille en tombe. Il prit a son ceinturon, après s’être essuyé les mains sur sa robe, une escarcelle en cuir de laquelle il sortit une patte séchée de poule, ainsi que trois petits osselets qui étaient de saintes reliques : Les phalanges du majeur droit d’Aragh Bannière Sanglante ! Du moins, c’est ce qu’il prétendait… Après avoir prononcé des mots inventés sur le tas, mais qui avaient une sonnance mystique et ancienne, il lança les os et la patte dans l’écuelle et y trempa le bout de ses longs ongles jaunes et noirs, puis fut instantanément pris de tremblements terribles, ses yeux mêmes en devenaient blancs !
Quelle magie, vraiment ! Les guerriers gorlaks étaient impressionnés devant tant de clergie… Après quelques secondes qui semblaient interminables, les tremblement cessèrent enfin et les yeux de l’ancien redevinrent normaux, cependant, il soufflait comme un bœuf de laboure… Il n’avait plus vingt ans, et simuler ces tremblements et cacher le noir de ses yeux sous les paupières lui devenait de plus en plus ardu, en raison de son age, et surtout de son arthrose, mais qu’importait, la combine avait marché, tous y avaient crûs !
- Narshoul à ussayé de me dire, a travers des umages que mouah ai vues dans les entrailles de cu rat, qu’il est tumps pour nous de quitter cutte forrrrêeeeeeeet pour rejoindre la grunde motte Luk’Maar car une guerre se pruparer et la victoire dépendre de nous… !
Quelles idées parfois fermentaient dans le crâne de ce vieux ! Il était toujours capable d’inventer des flots d’inepties pour mener ses guerriers ou il le souhaitait, mais toujours dans l’intérêt du clan, car ce vieillard, était bon et indulgent, il aimait et encourageait la jeunesse, et ne pouvait parfois s’empêcher de l’admirer, se rappelant ainsi sa jeunesse prime… Et c’est ce qui le rendait différent, car les vieux chamans étaient généralement jaloux, malveillants et sévères.
Mais pourquoi donc avait-il inventé cette histoire de guerre, et de voyage vers Luk’Maar… ? Ils avaient toujours su vivre en clan restreint… Etait-ce une nécessité ? Eh bien oui… Le chaman avait tout vu des autres époques, sans en avoir les illusions, ni les passions, ni les erreurs : il avait acquit suffisamment de sagesse pour comprendre qu’il était le seul chaman du clan, et personne après lui ne pourrait être le berger de ce troupeau dispersé… La solution était simple : Rejoindre la grande Luk’Maar pour que le clan ai une chance de perdurer…
Le jour suivant, sans dilapider plus de temps, ils remballèrent le campement et le chargèrent sur le charroi, puis ils s’adoubèrent de leurs armures parfois faites d’os, de cuir ou de fourrures. Le vieux, lui, ceignait consciencieusement a ses guerriers, l’épée, la hache ou la masse a leurs hanches, après les avoir bénits et ils partirent pour Luk’Maar…